Sous les projecteurs...

Sous les projecteurs...

Quelques classiques

Mes humbles appréciations de quelques classiques du cinéma


A Streetcar Named Desire

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A Streetcar Named Desire (1951)

 

 

Étant une novice des classiques du cinéma américain des années 50, je me suis retrouvée à visionner le très reconnu A Streetcar Named Desire par un simple concours de circonstances.  Ne m’attendant vraiment à rien, mon intérêt pour ce film tenait au seul fait que j’avais beaucoup apprécié le seul film d’Elia Kazan que j’avais déjà vu, East of Eden (1955).  Je peux désormais affirmer que j’ai enfin compris ce qui fait que certains films passent à l’histoire et sont finalement considérés comme des incontournables : ils sont vraiment bons.  C’est complètement abasourdie que je suis sortie de la salle de cinéma, après près de deux heures de visionnement en solitaire. 

 

Issue de la pièce éponyme de Tennessee William datant de 1947, la version cinématographique de Kazan reprend presque dans son intégralité le casting original ayant eu le mandat d’interpréter sur Broadway ce drame pendant deux années consécutives (de 1947 à 1949).  L’histoire simple mais percutante repose sur l’équilibre mental plus que précaire de Blanche Dubois (Vivien Leigh), une femme tourmentée et instable qui, suite à de nébuleux troubles financiers, se voit dans l’obligation d’aller retrouver sa sœur Stella (Kim Hunter) en Nouvelle Orléans pour lui demander l’asile.  Cependant, Blanche se heurte à l’animosité de son beau frère, Stanley Kowalski (Marlon Brando), et à la difficulté de la vie de la classe populaire ouvrière où évoluent sa sœur Stella et son époux.  Attisée par une attitude prétentieuse et hautaine dont son invitée indésirable ne se départit jamais, l’antipathie de Stanley envers Blanche entraînera d’intenses hostilités qui n’iront qu’en augmentant, pour finalement se terminer par la démence de Blanche qui touchera le fond de l’aliénation.

 

 

 

A Streetcar Named Desire représente de manière cinglante le quotidien marqué de violence et d’abus des habitants de ce banal quartier français de La Nouvelle-Orléans.  On y découvre les relations de voisinage, les rencontres entre amis, les moments de camaraderie fraternelle et les déchirures que connaissent ces personnages qui s’entrechoquent violemment dans cette mosaïque de tourments quotidiens dans l’exiguïté de la vie citadine.  Kazan nous y montre sans dentelle la violence conjugale, l’intimidation et la domination que les hommes exercent sur les femmes, mais aussi le pouvoir que peuvent arriver à posséder ces dernières sur leurs compagnons.  On y entrecroise les démêlés des ouvriers et de leurs compagnes dont la vie est marquée par les sauts d’humeurs de tout un chacun. 

 

À travers leurs nombreux excès de violence et de colère, ces hommes et ces femmes des bas-fonds de la Nouvelle-Orléans dépeignent une réalité où seul le plus fort survit.  Avec leur caractère bouillant, emporté et passionné, le couple central de Stella et Stanley traverse crise après crise, pour arriver à surmonter brutalité, agressions, abus, et revenir inextricablement l’un à l’autre.  Parallèlement à tous ces conflits qui éclatent sans cesse, A Streetcar Named Desirelaisse apercevoir une touchante solidarité entre les citadins, chacun tentant de se protéger des autres, tout autant qu’il essaye de préserver son prochain d’éventuels assauts.  À travers ces fracassantes scènes de ménage, on découvre à ces prolétaires un tempérament étonnamment latin dans cette manie de se mêler des histoires d’autrui.  Pratiquement tous les personnages que A Streetcar Named Desire nous présente possèdent un caractère puissant, souvent opiniâtre.  Les femmes ne se laissent pas impressionner par les crises de leurs conjoints au tempérament emporté, et ces derniers ne les ménagent pas, n’hésitant pas à devenir destructeurs et agressifs lorsqu’ils sont contrariés.  C’est dans cet environnement déséquilibré qu’on place la fragile et embrouillée Blanche, dont on ne doute pas un seul instant qu’elle ne pourra supporter cette agitation sans devenir complètement démente.

 

 

 

Ralenti par la censure très sévère de l’époque, la version cinématographique de Kazan a été amputée de quelques détails qui rendent flous certains événements, nous laissant parfois perplexe.  On comprend mal ce qui a pu bouleverser Blanche à l’aube de sa vie, au point de conditionner ses agissements pendant tout le reste de son existence.  Ce qu’on y a tait en raison de la nature choquante et inconvenante des propos, c’est l’allusion à l’homosexualité et au suicide de son ex-mari qui vient mettre en place la pièce de puzzle manquante à la cohérence du personnage de Blanche.  Complètement perdue depuis que son jeune époux est mort de manière précoce, on y tait cependant dans la version de Kazan ce que Williams avait réellement écrit à son sujet. Traiter de manière directe du suicide et de l’homosexualité était inconcevable pour les producteurs américains, la version épurée de Kazan ne mentionne jamais directement ces détails.  On se contente d’y indiquer que le jeune homme est mort prématurément par la faute de Blanche.  On y a aussi coupé la séquence de viol, dont l’omission résulte, dans la version cinématographique, en une fin précipitée et confuse.  Cette séquence manquante est censée, en effet, expliquer la démence de Blanche, tout comme le désintérêt soudain de Stanley qui ne se soucie plus du tout de sa belle-sœur.  La simple suggestion du viol est tant peu explicite qu’elle ne suffit pas à nous justifier la conclusion qui nous est présentée.  Il est drôle de constater que, si le film devait être produit aujourd’hui, on couperait davantage les séquences où la cigarette est utilisée à des fins de séduction que les allusions à l’homosexualité ou au suicide. 

 

 

 

Second film de Marlon Brando, on y découvre avec bonheur les fondements du jeu moderne avec cet acteur issu de la Méthode qui entraînera avec lui un style de jeu complètement révolutionnaire.  Loin de déclamer, Brando marmonne ses phrases, joue dans les nuances, teintant sa performance de sincérité, tranchant avec tous les autres acteurs de cette production.  Nominé aux Oscars en tant que meilleur acteur de soutien, il annonce dès ce début de carrière qu’il sera un des acteurs les plus exceptionnels et influents de son époque.  Brando, bien que solide, n’en est qu’à son second film, mais il n’en est pas ainsi de la femme qui lui partage l’écran.  Vivien Leigh, au sommet de sa gloire et plus de dix ans après avoir été la tête d’affiche du chef d’œuvre Gone with the Wind, reprend le rôle de Blanche après l’avoir tenu maintes fois sur les planches dans la distribution originale britannique.  C’est presque au crépuscule de sa carrière qu’elle immortalisera sur pellicule ce rôle grandiose qui l’aura suivi une bonne partie de sa vie.  Cette prestation qui lui aura valu un oscar d’interprétation sera plus que marquante dans sa vieillesse.  Décédée précocement, il est troublant d’apprendre que Leigh finira ses jours accablée de troubles mentaux sévères qui l’embrumeront au point qu’elle ait de la difficulté à distinguer sa propre vie de celle de Blanche.  

 

 

  

Cinglant, authentique, remarquable, A Streetcar Named Desire se place dans la lignée des classiques qui auront marqué l’histoire du cinéma.  Soutenue par des performances magistrales, tant de la part de ses acteurs principaux que ceux de second plan, cette histoire remarquable parvient à dresser un portrait cru de la situation de ces habitants d’un quartier ouvrier de La Nouvelle-Orléans sans tomber dans le misérabilisme et la banalité.  Passionné et toujours juste, Kazan prouve encore une fois à quel point il a contribué à cet âge d’or d’Hollywood où le cinéma a vu sa période la plus florissante jusqu’à ce jour. 

 

 

Ma critique est également disponible sur le site le QUATRE TROIS

 


15/06/2012
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The Man Who Laughs

Voir le film intégral

 

The Man Who Laughs (1928)

 

 

Ceci n’est pas une critique.  Je n’ai ni la prétention ni l’autorité nécessaire pour me frotter à une critique sérieuse de ce genre de film, cependant, certains me marquent suffisamment pour que je ressente le besoin de partager à leur sujet.  C’est le cas du film américain The Man Who Laughs de 1928, réalisé Paul Leni, fameux réalisateur du mouvement expressionniste allemand. 

 

Si vous me connaissez un tant soit peu, vous serez sans doute très peu étonnés de me voir sortir de l’ombre un film de ce genre.  Je vous épargnerai les méandres des pensées qui m’y ont amenée, mais toujours est-il que je suis récemment tombée sur ce film de la fin des années 20.  Intriguée, j’ai constaté rapidement que c’était en fait une adaptation d’un livre relativement méconnu de Victor Hugo, et que le film de 1928 s’apparentait à l’univers expressionniste qui m’est si cher.  Mon Amour (avec un grand A) des films muets m’a poussé rapidement à dénicher la version intégrale de ce film, que j’ai aussitôt écouté avec stupéfaction et fascination.

 

The Man Who Laughs est un film à saveur très actuelle qui propose une sévère critique de la société.  On y raconte la pathétique histoire d’un enfant londonien, fils orphelin d’un bourgeois contestataire de la reine.  Gwynplaine, le jeune garçon, est enlevé par des gitans qui défigureront son visage pour tordre ses traits en un rictus permanent.  Ils le laisseront seul, affamé et à la merci des intempéries après leur départ précipité de la ville. Errant suite à son abandon, il secourt un bébé aveugle encore accroché au cadavre de sa mère et finit par rencontrer un forain qui les recueillera et les élèvera tous les deux.  Quelques années plus tard, devenu le clou d’un spectacle de « freak show » grâce à son visage déformé, Gwynplaine tombera amoureux de la jeune fille aveugle qu’il avait sauvée étant bébé.  Il sera cependant constamment humilié et persécuté, et finira par être appréhendé par la reine avide de vengeance qui tentera de l’unir contre son gré à sa délurée de fille.

 

 

 

Je dois d’abord dire cette histoire m’a stupéfaite.  Moi qui ne connais Victor Hugo que très sommairement pour ses ouvrages les plus classiques, j’ai été estomaquée de la nature de cette œuvre dérangeante.  Portée par un thème sordide, mettant de l’avant la laideur de la race humaine, The Man Who Laughs est peu conservateur et bouleversant.  Surprenant, ce film comporte des scènes qui ont dû être jugées très choquantes lors de sa sortie.  On y présente quelques séquences de nudité et des attitudes de provocante séduction qui ont de quoi étonner pour un film tout droit sorti d’un contexte aussi puritain que le début du XXe siècle.  Même stupéfaction du côté de la réalisation composée de mouvements de caméra et les prises de vues excessivement modernes pour l'époque.

 

En bon film expressionniste, The Man Who Laughs comporte toutes les particularités de ce courant si surprenant.  On y retrouve évidemment de magnifiques décors à l’allure folle et tordue qui ne sont cependant pas aussi flamboyants que ceux du film Le Cabinet du Docteur Caligari.  Une majeure partie de l’histoire laisse place à la présence du symbolisme, tel qu’on en voyait souvent dans ces films à la facture visuelle éclatée.  Cependant, la signature de l’expressionnisme devient plus tangible lorsqu’on s’attarde aux thèmes qui y sont exploités, tels que le pathétique, la peur, l’angoisse, la convoitise, l’amour et la violence.  Cette excellente formule sur cette trame de film muet à la qualité d’image passablement abimée rend The Man Who Laughs encore plus étrange et fascinant.

 

 

Le propos du récit, qu’il soit question de sa forme littéraire ou filmique, détonne par son côté sombre et pessimiste.  Gwynplaine est un homme incroyablement détruit par ce que les autres ont fait de lui.  N’étant que le résultat de la violence des hommes, il attire le mépris autant qu’il reflète la laideur de la société.  Avec ses séquences troublantes d’humiliation et de lynchage, c’est un film qui a certainement dû choquer par la franchise avec laquelle il aborde un sujet resté souvent dans l’ombre.  La nature de certaines images tout comme son propos général sont certainement déconcertants pour un film qui a vu le jour alors qu’une censure vigoureuse était de mise.  Au Québec, le film a d’ailleurs souffert d’une mise à l’index en raison de l’image souillée de la monarchie britannique qui prend ici un rôle de tortionnaire.

 

 

Ayant largement inspiré le personnage du Joker dans la série de bandes dessinées Batman de Bob Kane, le personnage principal présente un visage davantage troublant qu’effrayant.  Cependant, même si son rictus est bien loin des réalistes cicatrices du personnage de Heath Ledger dans The Dark Knight, Gwynplaine reste déroutant.  Envahi de vulnérabilité et accablé d’humiliation, il n’arrive à exprimer ses émotions qu’à travers ses yeux (dans ce cas formidablement expressifs de l’acteur Conrad Veidt).  Même si ce nom ne vous dit sans doute rien du tout, vous serez peut-être surpris d’apprendre que cet artiste allemand a aussi personnifié Cesare le somnambule dans le classique du même genre Le cabinet du Docteur Caligari.  Absolument méconnaissable, on ne peut que constater un grand talent chez ce brillant acteur qui a dû porter pour le tournage un mécanisme assorti de crochets afin de maintenir de manière permanente son sourire forcé.  

 

Exhibant des infirmes comme héros, dépeignant une monarchie britannique mesquine et cruelle, et finalement présentant une collectivité perverse sans compassion, The Man Who Laughs ose montrer l’imprésentable.  Aurez-vous l’audace de regarder ?

 

Ma critique est également disponible sur le site le QUATRETROIS


21/02/2012
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